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Ces nuits inoubliables qui, ayant empoisonné ma jeunesse, m’ont ouvert les yeux pour toujours. Je leur dois tout ce que je sais.

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Déchirement, mon mal-être préféré. Chacun s’accroche à un mot qui le définit, qui le dénonce.

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Avenue de l’Observatoire.
Assis sur un banc, en regardant les arbres d’en face je fus conquis par la passivité des feuilles. Certaines pourtant paraissaient vibrer et même bouger. Soudain l’anomalie de tout mouvement me frappa : qu’attendons-nous pour nous figer à jamais ?

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Impossible de supporter musique ou poésie exemptes d’un gémissement virtuel.

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Tout est superflu. Le vide aurait suffi.

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Ballotté entre le néant quotidien et le néant tout court.

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Quelle gaffe que tout commencement, la naissance en premier lieu, il va sans dire.

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Le progrès n’est rien d’autre qu’un élan vers le pire.

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Ce que j’aurai compris le long des années, je le dois à l’état incertain de mes organes. Me serais-je bien porté que je n’aurais pas écrit une ligne. Quelle chance d’avoir échappé au handicap de la santé !

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J’ai toujours eu peur de finir en délivré – vivant, de contrarier mes gouffres, de triompher de mes tares. Cette peur n’était pas fondée. Me voilà rassuré.

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Nos appréhensions exceptées, est-il rien qui ait une apparence de fondement ?

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La reconnaissance est incontestablement un sentiment noble, mais à la longue dur à traîner. Des années et des années de surmenage ! Comment ne pas envier la quiétude du je-m’en-foutiste ?

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Ce qui compromet le suicide, c’est qu’il faut pour le commettre un minimum de détraquement, alors qu’il devrait être le privilège de tout individu tant soit peu sensé.

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Excédé dès mon enfance par le soleil. Les journées paradisiaques m’anéantissent. J’aurais quitté depuis longtemps la scène si j’avais été forcé de me prélasser dans n’importe quel Midi. Je perds tous mes moyens aussitôt que la lumière dépasse les bornes.

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Quel tourment et quel soulagement aussi quand on a perdu une illusion – pour toujours !

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Se lever au milieu de la nuit pour ouvrir un livre, c’est déshonorer l’insomnie.

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L’histoire ? – Chance offerte aux peuples pour se discréditer à tour de rôle.

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Chacun est pris à son propre jeu, comme s’il savait son destin par cœur.

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« Histoire de ma vie » de Marc Aurèle ne nous est pas parvenue. Quel dommage que nous ne connaissions pas les soucis mesquins d’un sage sans précédent.

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J’enregistre au plus profond de moi-même, pour peu que je m’y plonge, les appels et les contorsions du chaos avant qu’il n’ait dégénéré en ce trop visible non-sens.

(E. M. Cioran, L’élan vers le pire, 1988)