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Ô Brume, ma sœur…
poezie [ ]

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de [Kahlil_Gibran ]

2009-02-22  | [Acest text ar trebui citit în francais]    |  Înscris în bibliotecă de Guy Rancourt



Ô Brume, ma sœur, souffle blanc non encore contenu dans un moule,
Je reviens à toi, souffle blanc et sans voix,
Une parole non encore prononcée.

Ô Brume, ma sœur ailée, nous sommes ensemble à présent,
Et ensemble nous resterons jusqu’au second jour de la vie,
Dont l’aube te déposera, gouttes de rosée, dans un jardin,
Et moi, nouveau-né, sur le sein d’une femme,
Et nous évoquerons nos souvenirs.

Ô Brume, ma sœur, je reviens, un cœur à l’écoute de ses profondeurs, tout comme ton propre cœur,
Un désir palpitant et sans but, tout comme ton propre désir,
Une pensée non encore rassemblée, tout comme ta propre pensée.

Ô Brume, ma sœur, l’enfant aînée de ma mère,
Mes mains contiennent encore les vertes semences que tu m’as ordonné de répandre,
Mes lèvres sont scellées sur la chanson que tu m’as ordonné de chanter;
Et je ne te rapporte aucun fruit, je ne te rapporte aucun écho,
Car mes mains étaient aveugles, et mes lèvres cruelles.

Ô Brume, ma sœur, j’ai beaucoup aimé le monde, et le monde m’a aimé,
Car tous mes sourires étaient sur ses lèvres, et toutes ses larmes étaient dans mes yeux.
Et pourtant, il y avait entre nous un gouffre de silence que le monde ne voulait pas réduire
Et que je ne pouvais pas franchir.

Ô Brume, ma sœur, mon immortelle sœur Brume,
J’ai chanté les vieilles chansons à mes petits enfants,
Et ils ont écouté, et il y avait de l’émerveillement sur leur visage;
Mais demain, peut-être auront-ils oublié la chanson,
Et j’ignore à qui le vent pourra transmettre cette chanson,
Et bien qu’elle ne soit pas mienne, cependant elle est venue jusqu’à mon cœur
Et elle est restée un moment sur mes lèvres.

Ô Brume, ma sœur, bien que tout cela soit passé,
Je suis en paix,
Il me suffit d’avoir chanté pour ceux qui sont déjà nés.
Et bien que le chant ne soit pas vraiment le mien,
Cependant il émane du profond désir de mon coeur.

Ô Brume, ma sœur, ma sœur Brume,
Je ne fais plus qu’un avec toi à présent.
Je ne suis plus un moi.
Les murs sont tombés,
Et les chaînes sont brisées;
Je m’élève vers toi, en brume,
Et ensemble nous voguerons par-dessus la mer jusqu’au second jour de la vie,
Quand l’aube te déposera, gouttes de rosée dans un jardin,
Et moi, nouveau-né, sur le sein d’une femme.

(Khalil Gibran, Le jardin du prophète, 1933)


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